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Jacques DEMOULIN (1905-1991) : rétrospective de l’art moderne


Cet été sera présenté aux enchères le fonds d’atelier de l’artiste Jacques Démoulin (1905-1991) en deux vacations. Ces ventes sont l’occasion d’une rétrospective de l’art moderne français tant cet artiste s’est inspiré des plus grands mouvements de l’art du XXe siècle.

Un artiste, un danseur et un comédien  

Jacques Démoulin à 15 ans lorsqu’il arrive à Paris. Passionné depuis l’enfance par l’art, il s’inscrit aux cours du soir de dessin de la ville de Paris où il se rend trois fois par semaine. En 1924, il entre à l’école des « Arts Appliqués » puis à l’école des « Arts Décoratifs » dans le but de perfectionner sa technique. En parallèle de ses études, il travaille à l’Académie Adler de Montparnasse puis à l’atelier du peintre Bernard Naudin. Tout en continuant la peinture, il entre au théâtre de l’Atelier dirigé par Charles Dullin dans lequel il jouera des seconds rôles notables, notamment dans l’Avare de Molière. Grâce à l’une de ses professeurs il se lancera dans la danse en 1926. Cette passion grandissante le poussera à mettre entre parenthèses sa carrière de comédien et influencera plus tard ses créations artistiques. En 1931, il dansera dans les célèbres Ballets russes sous la direction de Serge Lifar et restera à l’Opéra de Paris pendant 13 ans.

Jacques DÉMOULIN (1905-1991)
Serge Lifar dans L’après-midi d’un faune ?, vers 1935
Crayon et encre sur papier
Contrecollé sur papier


1925-1950 : un peintre qui suit les avant-gardes

Le parcours artistique diversifié de Jacques Démoulin va lui permettre de rencontrer les artistes de la peinture, de la littérature et des arts du spectacle du moment. Il débute son art sous l’influence de l’impressionnisme inspiré par le cirque ou le théâtre. Par la suite il s’inspirera de Cézanne, père du cubisme et entre dans une une phase subjective. Il représentera, durant cette période des nus, des natures mortes, des paysages ou encore des portraits mais sera rattrapé par l’envie d’exprimer le mouvement qu’il a tant exploité durant ses débuts. Artiste touche à tout, il réalisera aussi des caricatures pour la presse, des projets de costumes, de décors ou de motifs textiles. Ses maîtres seront Pablo Picasso, Fernand Léger, Paul Cézanne ou Georges Rouault.

Jacques DÉMOULIN (1905-1991)
Nature morte à la baguette et à la bouteille
Gouache sur papier

Jacques DÉMOULIN (1905-1991)
Ensemble de 9 projets de costumes ou décors pour le théâtre : le nain des Eaux (1er état), La Naïade Princesse Ondine, deux robes de flamenco, cavalière et Pan
Diverses techniques : gouache, crayon, encre, collage sur papier

Jacques DÉMOULIN (1905-1991)
Composition aux athlètes, 1951
Crayon et gouache sur papier

La période abstraite des années 1960 à 1990

En 1962, Démoulin quitte son atelier de Montmartre pour l’Eure. Pour certains, ce départ de la capitale entravera le développement de sa notoriété. Il s’investira dans la production contemporaine en Normandie en devenant en 1970 membre de l’Union des Arts Plastiques de Saint-Etienne-du-Rouvray. Sa carrière de peintre se terminera par un rejet de toute expression conventionnelle. On pourra retrouver l’esprit de l’univers onirique de Juan Miro durant cette période. En 1979, une rétrospective lui sera consacrée à Grand-Couronne (76).

Jacques DÉMOULIN (1905-1991)
Composition abstraite en noir, rouge, rose et ocre
Huile sur papier

Jacques DÉMOULIN (1905-1991)
Composition abstraite en noir, rouge, bleu et blanc sur fond orange, vers 1960-1970
Gouache sur papier

Jacques DÉMOULIN (1905-1991)
Projet de décor de théâtre sur le thème de l’antiquité
Gouache sur papier

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Jacques DEMOULIN (1905-1991) en quelques dates :

1905 : Naissance d’Henri Jacques Démoulin à Bohain (Aisne).

1923 : Il entre à l’école des Arts appliqués (dessin, sculpture, décoration murale et fresque) pour une année.

1924 : Passe l’examen de l’école des Arts décoratifs (dessin, sculpture, architecture décorative). Il travaille en ateliers libres chez Jules Adler puis chez Bernard Naudin, tous deux graveurs et dessinateurs de presse. Il commence cette année-là sa carrière de peintre, subissant l’influence de l’impressionnisme et de Toulouse-Lautrec. Ses sujets sont empruntés au Music-Hall, au Cirque, au Café-Concert et à la rue.Parallèlement, il reçoit les conseils de Maxime Dethomas (1867-1929), peintre et décorateur de théâtre, décorateur en chef de l’Opéra de Paris qui l’envoie apprendre le métier de décorateur de théâtre dans plusieurs ateliers spécialisés.

1925/1930 : Il participe au Salon des Indépendants.

1926 : Tout en continuant à peindre, il entre au théâtre de l’Atelier dirigé par Charles Dullin où il reste 20 mois. Il joue des seconds rôles notamment dans L’Avare de Molière et devient second régisseur. Il a alors la révélation de la danse grâce à Anna Stephann, professeure au théâtre et danseuse à l’Opéra-comique. Il quitte le théâtre pour se consacrer à une carrière de danseur. On retrouve dans ses archives nombre de dessins, esquisses ou peintures qui rappellent son rapport à la scène : esquisses de régie ou de mise en scène de théâtre, nombreux dessins de costumes, de personnages… mais on trouve également des dessins de tissu, des publicités, des caricatures pour la presse, des illustrations de poèmes de Mallarmé, de Jacques Villon… soulignant ainsi que Jacques Démoulin a utilisé ses talents artistiques pour travailler (pour vivre ?) tout au long de sa carrière de peintre dans d’autres domaines artistiques.  

1929 : Il devait entrer dans la troupe de Diaghilev, mais celui-ci meurt brusquement au mois d’août et la troupe est dissoute. Il entre alors dans la compagnie « Opéra russe » fondée et dirigée par Cyrille Slaviansky-d’Agreneff (1926-1936) et danse à la salle Pleyel et en Province. 

1930 : Pendant 5 ans, il donne de nombreux dessins à différents journaux.

1931 : Il entre à l’Opéra de Paris où il danse dans la plupart des ballets dirigés par Serge Lifar, notamment dans le Borysthène musique de Prokofiev, Les Harnasies musique de Karol Szymanowski, le Boléro de Ravel, Ariane de Florent Schmitt, Daphnis et Chloé de Ravel, Œdipe de Georges Enesco, Padmavati d’Albert Roussel, Les créatures de Prométhée de Beethoven, Les animaux modèles de Francis Poulenc…Il restera 13 ans et demi à l’Opéra, tout en continuant avec acharnement son œuvre de peintre et d’illustrateur de presse.

1933-39 : Période post-cubiste, phase « subjective » personnages nus et natures mortes. Il s’efforce déjà d’exprimer le mouvement. Il fait connaissance de nombreuses personnalités des Arts et Lettres comme Picasso, Louis Leiris, Picabia et surtout H. D. Kahnweiler avec qui il passe ses vacances. Comme danseur, il a « approché Stravinski, Ravel – Ravel, un an avant sa mort, il évitait les gens -, Florent Schmitt, Enesco… »

1942 : Il rencontre Simone GAULT, qui deviendra son épouse. Sa belle-famille tient une galerie d’art et une entreprise d’encadrement d’œuvres, la galerie RG, dans laquelle il exposera régulièrement, tout en refusant malgré l’amicale pression de son entourage d’y « exposer des fleurs » pour vendre.

1942-52 : Période expressionniste. C’est alors que sur le plan pictural, il veut s’évader du néo-cubisme, il éprouve le besoin de revenir à l’objectivité et il se met à peindre dans un style expressionniste influencé par Soutine ou Rouault : paysages, natures mortes, portraits, scènes à personnages, sujets religieux, sujets misérabilistes, couleurs violentes, matières pâteuses, retour à l’espace de la Renaissance. Mais l’anecdote envahissant de plus en plus la toile au détriment des éléments picturaux, Jacques Démoulin va réagir en peintre, d’abord en revenant à une forme post-cubiste l’amenant à utiliser les éléments naturels comme des symboles ressemblant aux images des cartes à jouer, puis en abandonnant toute formulation traditionnelle de l’image jusqu’à une abstraction géométrique murale. « Je faisais mes bâtons pour réapprendre« . Pendant cette période également, il devra travailler parallèlement à sa pratique artistique, par exemple, en 1951, il travaille dans différents journaux comme retoucheur photographique ; il a également été courtier en tableaux pendant plusieurs années.

1953 : En vacances dans le Morbihan, il découvre le tumulus de Gavrinis (époque néolithique : -4000/-3000 av. J.C.) et notamment les pierres gravées, qui influenceront notoirement son œuvre durant de nombreuses années.

De 1953 à 1965 : c’est sa période mégalithique, Jacques Démoulin abandonne toute formulation conventionnelle de l’image pour aboutir à une forme d’abstraction par un graphisme symbolique, issu de l’observation des gravures et monuments mégalithiques. Les pierres gravées de cette allée couverte exprimant totalement et de façon la plus plastiquement dépouillée un extraordinaire langage idéographique, c’est le coup de foudre pour l’art et les religions mégalithiques. Jacques Démoulin se plonge dans l’étude de ces signes essayant de retrouver leur signification. C’est pour lui une période picturale dite « mégalithique » caractérisée par une discipline ascétique (couleurs réduites à la gamme des terres, du blanc et du noir, formes linéaires) ….

A partir de 1966 : Cette expérience déterminante lui permettra d’entrer délibérément dans l’abstraction libre à caractère gestuel, et ce au travers d’une géométrie qu’il qualifie de « projective », c’est-à-dire non euclidienne, absente de toute mesure, créant une dualité constante dans l’espace. Ces signes abstraits, d’abord statiques, vont se dynamiser pour devenir mouvement. Ainsi, ce mouvement depuis toujours recherché dans son travail de peintre va s’exprimer dans sa totalité. 

« Pour moi, dit Jacques Démoulin, il ne s’agit pas comme danseur de représenter des personnages figés dans un mouvement. Ce qui compte dans la danse c’est ce qui se développe dans l’Espace et dans le Temps : un parcours imaginaire. On trace des lignes, on trace l’Espace en dansant. La danse dans la peinture est un mouvement continu. Je projette dans ma peinture tout ce que j’ai appris comme danseur ».

1954 : Invité à la galerie Micheline Grandier, Paris

1962 : Jacques Démoulin quitte Paris et son atelier installé depuis de nombreuses années à Montmartre pour s’installer à Acquigny, près de Louviers dans l’Eure où sa femme est antiquaire. Pour nombre de critiques d’art cette décision qui le coupe de Paris et de sa vie artistique intense l’a empêché d’acquérir une notoriété nationale qu’il mériterait sans doute. Il s’isole en province et qualifie lui-même son atelier de « grotte »… A l’époque la reconnaissance de l’art contemporain en province démarre à peine.

1970 : Devient membre de l’Union des Arts Plastiques de Saint-Etienne-du-Rouvray et fait partie du bureau. Il va dès lors contribuer grandement au développement de l’art contemporain en Normandie.

« La peinture est un aliment spirituel et sensible, on a dépassé le stade de la nourriture prédigérée, il faut faire un effort, c’est de la maïeutique. »

1974 : Expose avec Jean-Pierre Bourquin et Gérard Gosselin, salle SNCF à Saint-Etienne-du-Rouvray 

1976 : Galerie « Club Pernod » Rouen

1979 : Travaille sur une nouvelle série de toiles qui a pour thème la Tour de Babel et qu’il appelle « Autour de Babel ». A propos du thème de la Tour de Babel, Jacques Démoulin confie comment après la guerre de 14, il découvre dans l’Aisne, son pays de naissance, une brasserie en ruines, incendiée par les Allemands :

 « Je pénètre dans ce lieu. Il n’y avait plus que des fers rouillés, bombardés et brûlés. J’ai connu un choc intérieur comme plus tard au tumulus de Gavrinis. Je n’ai pas été influencé dans le but de peindre. A cette époque je ne savais pas ce que je ferai. Quand j’ai vu ces fantômes mécaniques, brisés, brûlés, aujourd’hui ça me revient comme on est poursuivi par un fantôme : ça m’oblige à faire des constructions comme ça. Babel m’a été influencée comme ça : il y a soixante ans… »

Exposition « Rétrospective 1924-1979 » à Grand-Couronne (76).

« Ce que je fais dans les abstractions, c’est les parcours et les hasards sur la musique, pas l’attitude d’un danseur, mais le parcours dans l’espace et dans le temps. Je ne vois plus la peinture sur un plan objectif. Je ne regrette rien. (silence) Je ne dis pas que j’admire tout… » (Jacques Démoulin, cité par Roger Balavoine, Paris Normandie, avril 1979)

1980-1991 : Une sorte de « retour au calme » paraît s’imposer dans les dernières compositions du peintre. Le mouvement existe toujours, mais se canalise grâce à une distribution parcimonieuse de la couleur en accord avec l’harmonie des formes, visant à une simplification plus affirmée.  Les formes sont moins arrondies, davantage triangulaires. Des pans restent blanc qui « organisent les silences ».

Nous remercions Jeanne-Cybèle DILHAC pour sa précieuse collaboration

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