Vous nous direz, l’absence de cadre est déjà un cadre, formé par l’environnement qui entoure le tableau : le mur où la peinture est accrochée, les objets qui l’entourent, et … jusqu’aux personnes qui le regardent ! L’époque elle-même est l’arrière-plan de tout objet. Mais avec un environnement aussi foisonnant que confus autour du tableau, comment avoir a point of view, comme le disent les Anglo-Saxons? Les objets se touchent, s’entassent, se juxtaposent en un mélange qui peut perdre l’œil du spectateur. Comment « sortir » une peinture du foisonnement des choses anonymes ? C’est le rôle des « bordures » comme on disait au XVIIIe siècle. Le cadre vient de naître. A l’occasion de la vente du 1er septembre d’un fonds d’atelier d’un encadreur, on se penche sur cet objet aussi ordinaire qu’indispensable.
De la fonction utilitaire au support artistique
Le cadre met en valeur le tableau, le présente, l’habille, lui fournit un premier « look », à charge pour lui de manifester ensuite son corps et son esprit à tous ceux qui vont passer devant lui. Edgar Degas traitait ainsi le cadre de « maquereau de la peinture ». Mais pas uniquement. Non seulement le cadre joue le rôle d’« ouverture sur » (comme déjà dans les fresques de Pompéi ou Herculanum, où la scène est souvent encadrée par une sorte de fenêtre peinte), mais c’est aussi et avant tout une œuvre d’artisan ! Dès le XVIe siècle il va faire travailler ébénistes, doreurs, ornemanistes en tout genre (à partir de la fin du XVIIIe, des façonneurs de plâtre avec l’invention des mastics) et très vite, cet objet « utilitaire », ce simple « faire-valoir » va conquérir ses lettres de noblesse… à tel point que certains cadres sont maintenant classés comme monuments historiques. Le cadre vaut plus qu’un simple présentoir : d’abord, il reflète l’époque (il y a des styles bien reconnaissables, style Louis XIV, style Barbizon, style Restauration, cadres classiques, romantiques, impressionnistes, etc.), mais surtout il se fait complice du tableau en lui offrant une place dans l’espace, et en désignant l’œuvre qu’il enserre comme digne d’être admirée.

Un indispensable remis en question au XXe siècle
Alors bien sûr, cette démarcation, cette frontière jugée prétentieuse et superflue, on l’a transgressée, on l’a moquée, et à une certaine période on lui a préféré comme encadrement de simples baguettes foncées, neutres qui ne veulent surtout pas participer à l’œuvre ou induire le regard du spectateur. Jusqu’à ce qu’on supprime même tout cadre, pour prétendument préserver l’originalité, la liberté, l’identité de l’Art. C’est ainsi que dans les années 1970, certains conservateurs ont même voulu pousser le souci d’objectivité jusqu’à « épurer » les œuvres de leurs cadres d’origine, considérés comme des moulures tarabiscotées en les remplaçant par d’épaisses baguettes foncées, bien anonymes et indifférentes, simples frontières sèches et nues délimitant ce qui est à regarder et ce qui est négligeable. Un parti pris dont on vous laissera seul juge.

Le cadre has been ou nouvel objet déco ?
Bien sûr, il y a des peintures qui n’ont pas besoin de cadre : celles qui visent à donner une impression brute et universelle, absolue et métaphysique : on n’imagine pas encadrer un Rothko (parmi ceux de la dernière période). Il affirmait lui-même qu’il peignait aussi les bords du châssis pour montrer que le cadre était superflu. D’ailleurs une frontière ne fait pas qu’isoler, elle intègre aussi à un ensemble plus vaste. En outre, elle est aussi ce qui préserve l’intégrité, qui participe de l’identité de ce qu’elle limite. Non, ne nous moquons pas des bords moulurés, dorés, sculptés, luxuriants : ils contribuent au rythme interne de l’œuvre, participent à la magie de la peinture ! Si vous n’avez pas de tableaux à encadrer chez vous, suspendez simplement les cadres au mur, comme Balzac, c’est du plus bel effet, et d’un résultat tout aussi délicieux !

Vente d’un fonds d’atelier d’encadreur – dimanche 1er septembre 2019 – DrouotOnline – Catalogue en ligne ICI
Par Paul Salinier
Je vous livre cette anecdote, une de mes clients voulait acheter un tableau car la couleur du cadre était en harmonie avec celle de ses double-rideaux. Depuis, je n’encadre plus…
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Merci Christine pour cette anecdote ! Les clients ont parfois des idées très arrêtées 🙂
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